samedi 21 juin 2008

La société de la tendance

D’où viennent nos opinions, et nos choix ? Ceux qui développement une vision policière de l’histoire et imaginent que nous sommes instrumentalisés par des puissances sournoises et secrètes s’opposent à ceux qui veulent croire à l’indépendance totale de l’individu mu par la seule boussole de la recherche d’une maximisation totale de l’intérêt personnel.
Dans une remarquable synthèse, Sociologie des tendances (Que sais-je ?PUF), Guillaume Erner interroge la naissance et le développement des modes et des tendances qui se succèdent à un rythme toujours plus rapide. Erner déconstruit les discours trop mécanistes plaçant publicité (Barthes) ou processus de domination (Bourdieu) comme ordonnateur des tendances et des modes. Erner montre combien les tendances ont pris le pas sur les normes : la société s’atomise et les tendances s’individualisent. Le succès des modes vient d’une conjonction d’influences : besoin de nouveautés (Campbell), effets mimétiques (Veblen), charisme des acteurs (Weber), puissance de la symbolique (Baudrillard)... Cette diversité de causes explique que pour Erner, les tendances restent pour une part non-prédictibles.
L’interrogation sur les tendances pose aussi la question de l’opinion. Pour Julliard (La Reine du monde, Flammarion), c’est elle qui aujourd’hui gouverne. Si Tocqueville s’inquiétait de ce totalitarisme consensuel, Julliard y voit la manifestation d’une nouvelle étape de la démocratie. Merton prenait en compte la puissance de la croyance collective : si nous croyons qu’un objet sera à la mode, il le deviendra.
Finalement Erner rejoint Godelier, qui vient de publier Au fondement des sociétés humaines (Albin Michel) : les humains à la différence des autres espèces ne se contentent pas de vivre en société, ils produisent de la société. À travers nos actions, nous cherchons l’impossible équilibre entre distinction ET appartenance.

Serge Guérin (chronique publiée dans la revue Dirigeants)