dimanche 30 décembre 2007

Les seniors sont des internautes comme les autres

Les discours autour de l’internet restent marqués par la fascination pour l’objet symbole de la modernité. Le net est un totem. On  notera d’ailleurs que généralement, il s’écrit avec un i majuscule. L’idéologie techniciste le pare de toutes les vertus et considère le réseau comme le lien révolutionnaire permettant l’échange entre tous, le progrès de la connaissance, la fin de la solitude et le renouveau des connaissances. D’autres, à l’inverse, ne voient dans le réseau que la source du mal, la porte ouverte à des rencontres dangereuses, une perte de sens et de repères… Les deux regards excessifs témoignent de la difficulté à sortir d’une logique manichéenne face à cet outil de mise en contact.

Ce totem symbolise aussi la revanche de la jeunesse car ces derniers pratiquent de façon naturelle alors que les plus âgés doivent s’adapter de façon constante. Face au net, la frontière des âges est originale : les générations se succèdent en moins de 5 ans. Un jeune d’une quinzaine d’années a toutes les chances de renvoyer en maison de retraite un trentenaire confronté à quelques difficultés d’appréhension d’un nouveau jeu.

De ce point de vue, le sondage CSA publié par Pleine Vie de janvier 2008 sur les comportements face au net des 50-69 ans est des plus utiles pour casser les représentations négatives de l’âge. Il m’a été demandé par la rédaction du mensuel de l’analyser et j’avoue avoir été fort satisfait d’y retrouver confirmation de mes thèses. En effet, les seniors ne sont pas plus réfractaires au réseau des réseaux que les autres. Ainsi 57 % des seniors disposent d’un ordinateur à leur domicile et 46 % sont connectés à internet. Parmi ces derniers, 80 % ont recours à l’ADSL. On voit bien que la fracture numérique n’est pas d’origine générationnelle mais, comme pour le reste, provient d’une diversité de situations et raisons, dont la question sociale, le parcours individuel ou l’environnement géographique tiennent une grande place.

La question principale n’est pas de savoir si les seniors sont immergés dans la culture internet mais si leur type d’utilisation est très différente de celle des autres. Or, les seniors se distinguent des très jeunes en ce qu’ils vivent moins dans le virtuel et utilisent plus le net pour s’informer, se documenter. Surtout, ils produisent du lien social à travers les échanges de mails avec amis, connaissances et surtout famille, dont les petits-enfants. De ce point de vue, le mail permet à chacun de rester dans sa logique, dans sa pratique en écrivant à son heure et sans s’immiscer dans le quotidien de l’autre. Si j’ai envie de faire un signe à 3 heures du matin je peux le faire et le destinataire le lira à sa convenance et y répondra à son rythme.

L’étude CSA Pleine Vie est passionnante. Dommage qu’elle s’arrête à la barre des 70 ans. L’habitude de ne pas se préoccuper des attentes et comportements des septuagénaires et plus est symptomatique, elle aussi, d’une difficulté à traiter l’ensemble des citoyens sur un pied d’égalité de considération.

Serge Guérin

lundi 24 décembre 2007

De la fraternité

Notre sainte trinité nationale porte au fronton la jolie devise de Liberté, Egalité et Fraternité. Des mots qui finissent par être vide de sens. Des mots qui n’intéressent plus grand monde. Que signifie cette formule pour un SDF, pour un chômeur longue durée ou pour une caissière exténuée ?

La liberté n’existe pas dans l’absolu. Elle a besoin de contraintes et de limites pour s’exercer. Sans limites, la liberté devient vite loi du plus fort ou oppression des plus virulents.

L’égalité est un mirage. Nous n’avons pas les mêmes atouts au départ de la course et nous ne subissons pas de la même façon les contextes sociaux. Et nous n’avons pas non plus les mêmes envies. John Stuart Mills, penseur libéral du XIXème siècle souhaitait déjà que l’Etat puisse intervenir pour rééquilibrer les inégalités de naissances et de situation. Il s’agissait que chacun puisse avoir les mêmes chances pour concourir, pour faire la course. Est-ce suffisant ? L’égalité se résume-t-elle à donner le même couloir de course pour chacun ? Patrick Savidan, dans Repenser l’égalité des chances (Grasset), propose une nouvelle politique de l’égalité des chances où des mesures fiscales et éducatives tout au long de la vie devraient permettre à ce que chacun puisse se réaliser. Sans espérer faire la même course à la même place.

Et la fraternité ? Belle chose qu’il est impossible de décréter. Il y a une morale de la fraternité. Une obligation à se préoccuper de l’autre. Cette non-indifférence qui est la proximité même du prochain, dont parle Lévinas. Marie-Claude Blais, La solidarité, Histoire d’une idée (Gallimard) s’interroge sur le sens du terme Solidarité. Terme magnifique qui semble aujourd’hui être la demande de tous et le refus de chacun. Je veux que la collectivité soit solidaire mais me laisse tranquille et me demande aucun compte. Or, nous faisons système et nous ne pouvons nous extraire de l’environnement. Nos demandes, nos appels à la solidarité ont des effets sur les autres, sur la marche du système. Et donc sur notre propre avenir.

Si la fraternité est une morale impossible à imposer, sauf à entrer dans un fascisme du bon sentiment, la solidarité suppose de nous accorder sur l’orientation et les priorités de la société que nous voulons construire. Elle implique un lien positif se traduisant par une coopération produisant de l’avantage mutuel. La solidarité responsable est le meilleur chemin de la liberté.

Serge Guérin

samedi 15 décembre 2007

Générations en question

La notion de génération convient d’être interrogée sur le plan de l’effet de l’accélération de l’innovation technologique et de l’émergence de nouveaux médias, en particulier le web et ses prolongations.

La question du rapport de la génération 68 à l’image et aux médias peut être posée. Si les soixantehuitards ont symbolisé la génération de l’image et de l’innovation dans les médias, leur rendez-vous manqué avec l’internet marque bien une difficulté à saisir les potentialités de ces médias et plus largement les transformations des relations sociales.

La transmission du savoir ne tient plus seulement dans le sens traditionnel qui va du plus expérimenté au plus jeune. La modernité évolutive est marqué par une fluidité et une obsolescence croissante des savoirs. L’anthropologue Margaret Mead parle de « culture préfigurative » pour montrer que les adultes peuvent apprendre de leurs enfants ou de personnes plus jeunes. L’informatique et ses dérivés forment le lieu le plus symbolique de cette mutation. Au sein des familles, c’est souvent un enfant qui se transforme en Directeur des services informatiques local… De même dans l’entreprise, de jeunes embauchés peuvent être recrutés à des salaires plus élevés que des ingénieurs chevronnés en raison de leurs connaissances plus fraîches par rapport à certains logiciels.

Fondamentalement les changements dans les relations entre les générations concernent l’émergence de la notion de responsabilité intergénérationnelle et plus largement à la réciprocité entre les générations (Attias-Donfut). Loin des discours idéologiques sur la guerre des générations (Chauvel) pointant une classe d’âge de privilégiés face à des jeunes sans avenir, la réciprocité entre les générations se relève dans le cadre des situations de famille ou du voisinage (Pennec) comme dans celui de l’entreprise.  

mardi 11 décembre 2007

Bien vieillir dans la ville


Le logement et l’organisation de la ville participent de façon essentielle à la politique de la vieillesse. Il est bon que Plan Urbanisme Construction et Architecture ait lancé une dynamique d’études dans ce sens.
Mais la prise en compte des réalités démographiques (allongement de l’espérance de vie, diminution de la fécondité et de la mortalité, prise d’âge des générations du baby-boom…) par les décideurs politiques et économiques apparaît encore très largement médiatisé par la culture du jeunisme et un rapport pour le moins complexe au fait de vieillir. La tentation ségrégative est forte. Un chercheur, Renaud Le Goix, a mis en avant le développement des Gated communities, ces villes protégées, gardiennées et « interdites » aux non résidents. Elles produisent une forme d’apartheid générationnel qui peut être aussi social, racial ou autre. Le sentiment d’insécurité et le désir de se protéger de la différence ne touchent pas seulement les plus âgés : ces villes gardiennées rencontrent, depuis les années 1970 aux Etats-Unis, une demande croissante auprès d’une population aisée et jeune.
D’une certaine façon celui qui prend de l’âge (et peut –être encore plus, celle qui prend de l’âge) s’inscrit dans la liste des recalés de la modernité. Dans ses travaux sur la folie, Michel Foucault montre que dès le XVIIème siècle, la société a cherché à se préserver des fous, des pauvres et autres parasites. Les vieux peuvent être inclus dans ces catégories de parias que l’on veut cacher, dont on veut se protéger. La tentations de les enfermer dans une sorte de camisole logistique pour éviter qu’ils ne sortent, qu’ils soient au contact des autres est bien là. De son côté Gauffman à développé la notion de la personne stigmatisée, celle dont les caractéristiques sont disqualifiantes aux yeux des autres...

mardi 13 novembre 2007

Confiance en la démocratie et démocratie de la confiance


L’une des conditions nécessaire au développement d’une démocratie de responsabilité concerne la confiance comme postulat de relation entre les acteurs. Une véritable société libérale où la liberté permet un optimum d’équité nécessite un haut degré de confiance entre ses membres.

Alain Peyrefitte, intellectuel ouvert et passionnant et homme politique contrasté, a mis en avant l’importance de la confiance dans la performance d’une société.Une société de confiance fait l’économie du soupçon et de nombreuses rigidités. Pourquoi multiplier les règlements et les bureaucraties si les parties partent d’un a priori de confiance et cherchent par nature le consensus ? Sur le plan économique comme politique, le résultat se chiffre en millions d’euros qui loin d’êtres immobilisés dans les charges de police et de surveillance, de frais juridiques, de vérification et d’administration, peuvent participer au financement de l’innovation technologique et sociale ou de produits et services destinés à améliorer la vie quotidienne.

La société de confiance se situe à l’exact opposé de la société de précaution dont le sommet (du ridicule) fut atteint en 2004, lorsque Jacques Chirac eut la démagogie d’instaurer ce principe en fait constitutionnel. Une société qui a si peu confiance en l’avenir qu’elle estime urgent d’instaurer une camisole de force pour entraver toute initiative de peur de ses conséquences s’inscrit dans un mouvement mortifère. C’est l’inverse qu’il faut faire : parier sur l’avenir, donner leur chance aux innovateurs, accorder le droit à l’expérimentation…

Une société de liberté et de compétitivité se fonde sur le pari pascalien de la confiance. L’étude World Values Survey montre que les Français sont parmi les plus soupçonneux du monde. Très loin des citoyens nordiques dont les performances économiques, sociétales et citoyennes sont sans commune mesure avec les nôtre. Au lieu de regarder notre nombril, de passer notre temps à célébrer notre modèle, il serait bon de prendre des leçons auprès de personnes de confiance.

De ce point de vue, il semblerait que l’une des conclusions de la mission Attali sur la croissance soit de demander la suppression du principe de précaution de la Constitution. Comme quoi, nous ne sommes jamais à l’abri d’une bonne nouvelle !


En finir avec les experts ?

L’un des marqueurs forts des temps actuels s’exprime dans le déni de la compétence, des savoir et de l’expertise. Les médias, au nom de la vérité du public, multiplient ainsi les émissions où la personne de pouvoir fait face à des citoyens lambda. Parfois même, il n’y a plus qu’un animateur et des personnes qui appellent. Comment sont-elles choisies ? Comment leurs discours est-il vérifié ?

D’où vient la compétence kaléidoscopique de l’animateur ? En filigrane, il y a l’idée que les intermédiaires sont finalement des parasites et, pour ce qui concerne les journalistes, des individus qui, consciemment ou non, tendent à travestir le réel et les interrogations des « vrais gens ». Ce discours prolonge aussi le succès idéologique de l’internet qui dès l’origine s’est posé comme un support de la relation directe (le vendeur de fromages de chèvres de l’Ardèche qui, sautant par-dessus les méchants intermédiaires, vend directement sa production aux habitants des villes)

Ségolène Royal a porté loin ce discours en affichant mépris et dédain pour l’expertise et la connaissance au nom de la démocratie participative et de la vérité du jugement de ceux qui sont « en bas ». Finalement, il y a du Raffarin chez la Présidente de la Région Poitou-Charente !

La post modernité, annoncée par Lyotard, dès 1979, dans La condition post-moderne (Minuit), se caractérise bien par une délégitimation des grandes institutions et la fin des «métarécits». Par ailleurs, l’intelligence collective peut produire, en fonction du collectif concerné et de son mode d’organisation, des avancées et des pistes. Pour autant, la mise en cause des savoir, du travail et de l’expertise est aussi une façon de refuser les contre pouvoirs et les visions plurielles.

C’est la porte ouverte à l’appauvrissement de la pensée car l’intelligence des situations n’avance pas de façon linéaire et collective mais par à coup, par des chemins détournés, par les travaux ou les fulgurances de quelques-uns uns.


Les paradoxes du temps


Dans la société liquide, pour reprendre les termes de Zigmunt Bauman (voir La

société assiégée, Editions de l’Aube), le temps devient une valeur centrale. En effet l'univers liquide c'est la mondialisation, avec la rupture du temps géographique et, plutôt que l'absence des frontières (thèse de Friedman dans La terre est plate), une différentiation croissante entre ceux qui peuvent nomadiser de façon légale et rentable et ceux qui voyagent dans les soutes du système en dehors de toutes protection. Pour Bauman, la mondialisation est, tout bien considéré, positive car elle oblige à être inventif. Le temps devient un luxe pour les uns, un manque pour les autres. Avec le développement du capitalisme, le temps a pris une importance croissante et devenu une valeur en soi. Aujourd’hui, le temps devient un moment de notre identité. Rien n’échappe à la notion de temps ainsi des rencontres pour trouver l’âme sœur (Le speed dating) ou pour obtenir un emploi Le portable, les modes de communication numérique, ou encore les moyens de transports sont autant de vecteurs pour gagner du temps, être partout à la fois, multiplier les rencontres. Les effets sont paradoxaux. Ainsi, l’internet offre la possibilité de démultiplier les rencontres ou de s’enfermer dans une forme d’autisme en ligne. Le TGV, qui a réellement bouleversé notre rapport à l’espace, aux temps et même au lien travail-loisir conduit à traverser toujours plus vite des espaces sans rien voir et sans rien comprendre à l’entre-deux. Inversement, je peux prendre du temps (et même en perdre) dans ce no man’s land entre deux points où je devrais avoir un objectif et un statut.

Le rapport au temps, c’est aussi le rapport à l’action. Pierre-André Taguieff a développé le thème du "bougisme", pour exprimer que nos sociétés font l'éloge du changement pour le changement sans toujours réelles perspectives. Les uns veulent que la société bouge pour qu’elle change, les autres veulent le mouvement pour que rien ne change… Mais nous savons aussi que refuser le mouvement lorsque que tout bouge autour de nous, c’est prendre le risque du déclin. C’est reculer que d’être stationnaire, disait Lénine.


Le Compte épargne formation proposé par le Sénat : une idée à suivre


Si l’on prend pour hypothèse que le progrès passe par l’augmentation de la capacité d’autonomie des acteurs, l’enjeu n’est-il pas, à travers des actions volontaristes de soutien à la formation tout au long de la vie, de donner à chacun toutes les chances pour se prendre en charge ? Fondées sur un consensus fort, des politiques de ce type ont été largement soutenues ces dernières années de la Grande-Bretagne à la Scandinavie. Le XXI ème siècle remet au goût du jour John Stuart Mill, un social-libéral avant la lettre, pour qui chacun devait pouvoir avoir les mêmes possibilités de prendre son risque à travers le développement de la formation pour tous. La formation est l’outil qui permet l’égalité des chances. Un principe qui ne saurait se confondre avec celui d’égalitarisme.

Le droit à la formation tout au long de la vie permet de passer d’une logique de la passivité à celle de l’autonomie en ouvrant la possibilité de rebattre les cartes, de reprendre sa chance.

Nous sommes entré dans l’ère de la modernité évolutive en ce que ni les savoir, ni les identités, ni les statuts ne sont figés. La formation tout au long de la vie et le droit à la deuxième carrière s’inscrivent parfaitement dans cette tendance. Ces deux axes sont parfaitement solidaires.

Les sénateurs Carle et Seiller, président et rapporteur de la Mission d’information sur la Formation continue ont proposé, en juillet, de créer le Compte d’épargne formation, L’idée étant d’ouvrir un droit individuel à la formation transférable d’une entreprise à une autre et courant tout au long de la vie. Ce compte pourrait ainsi être utilisé par le salarié entre deux emplois.

L’initiative du Sénat apparaît comme un moment majeur pour favoriser la modernisation du pays et donner une chance aux seniors de poursuivre leur chemin dans l’emploi. Bravo !