Les discours autour de l’internet restent marqués par la fascination pour l’objet symbole de la modernité. Le net est un totem. On notera d’ailleurs que généralement, il s’écrit avec un i majuscule. L’idéologie techniciste le pare de toutes les vertus et considère le réseau comme le lien révolutionnaire permettant l’échange entre tous, le progrès de la connaissance, la fin de la solitude et le renouveau des connaissances. D’autres, à l’inverse, ne voient dans le réseau que la source du mal, la porte ouverte à des rencontres dangereuses, une perte de sens et de repères… Les deux regards excessifs témoignent de la difficulté à sortir d’une logique manichéenne face à cet outil de mise en contact.
Ce totem symbolise aussi la revanche de la jeunesse car ces derniers pratiquent de façon naturelle alors que les plus âgés doivent s’adapter de façon constante. Face au net, la frontière des âges est originale : les générations se succèdent en moins de 5 ans. Un jeune d’une quinzaine d’années a toutes les chances de renvoyer en maison de retraite un trentenaire confronté à quelques difficultés d’appréhension d’un nouveau jeu.
De ce point de vue, le sondage CSA publié par Pleine Vie de janvier 2008 sur les comportements face au net des 50-69 ans est des plus utiles pour casser les représentations négatives de l’âge. Il m’a été demandé par la rédaction du mensuel de l’analyser et j’avoue avoir été fort satisfait d’y retrouver confirmation de mes thèses. En effet, les seniors ne sont pas plus réfractaires au réseau des réseaux que les autres. Ainsi 57 % des seniors disposent d’un ordinateur à leur domicile et 46 % sont connectés à internet. Parmi ces derniers, 80 % ont recours à l’ADSL. On voit bien que la fracture numérique n’est pas d’origine générationnelle mais, comme pour le reste, provient d’une diversité de situations et raisons, dont la question sociale, le parcours individuel ou l’environnement géographique tiennent une grande place.
La question principale n’est pas de savoir si les seniors sont immergés dans la culture internet mais si leur type d’utilisation est très différente de celle des autres. Or, les seniors se distinguent des très jeunes en ce qu’ils vivent moins dans le virtuel et utilisent plus le net pour s’informer, se documenter. Surtout, ils produisent du lien social à travers les échanges de mails avec amis, connaissances et surtout famille, dont les petits-enfants. De ce point de vue, le mail permet à chacun de rester dans sa logique, dans sa pratique en écrivant à son heure et sans s’immiscer dans le quotidien de l’autre. Si j’ai envie de faire un signe à 3 heures du matin je peux le faire et le destinataire le lira à sa convenance et y répondra à son rythme.
L’étude CSA Pleine Vie est passionnante. Dommage qu’elle s’arrête à la barre des 70 ans. L’habitude de ne pas se préoccuper des attentes et comportements des septuagénaires et plus est symptomatique, elle aussi, d’une difficulté à traiter l’ensemble des citoyens sur un pied d’égalité de considération.
Serge Guérin