mercredi 30 décembre 2009

Métissages pluriels

Lorsque l’on pose la question des représentations des identités sociales ou ethniques, du vieillissement ou encore de la fragilité, il importe d’avoir à l’esprit que ces notions sont relatives, culturelles et évolutives. Le rapport à l’âge, par exemple, dépend, en large partie, des représentations d’un environnement, des origines sociales, du statut et du sentiment d’appartenance de la personne, mais aussi de réalités objectives (par exemple, il y a un écart de 8 ans d’espérance de vie entre un OS et un cadre supérieur) qui participent aux représentations de soi et du monde des personnes.
L’individu est un métis social qui du coup a plus de mal à trouver ses références seulement dans une culture collective, dans une histoire politique ou générationnelle. Mais dans le même temps la conscience de ce métissage social nous ouvre à l’autonomie. Nous apprenons de la vie, la vie nous apprends sur nous. L’apprentissage est complexe, protéiforme et nuancé. Les événements et les situations ne produisent pas les mêmes effets, les mêmes constructions sur chacun d’entre nous. Dits-toi que toutes les religions n’en apprennent pas plus que la confiserie, écrivait Fernando Pessoa .
La France se métisse aussi sur le plan ethnique. Le pays est historiquement un pays d’immigration (à l’inverse de l’Espagne, du Portugal, de l’Italie ou encore de l’Irlande), même si elle se caractérise dans la dernière période par un moindre afflux de migrants que la plupart des autres nations européennes – en particulier parce que sa démographie est la plus dynamique d’Europe-. Pourtant, les enfants de migrants principalement ceux issus d’Afrique du Nord ou subsaharienne, même ceux de la troisième génération, sont encore renvoyés à leur origine comme seule définition de leur identité. A l’heure des identités multiples, il y a quelque chose de tragique à refuser cette pluralité à ces jeunes – et moins jeunes-, au lieu d’en faire une source de richesse supplémentaire pour la collectivité. Tragique d’autant plus qu’à l’avenir, toute pousse à penser que les flux migratoires vont se poursuivre, pour des raisons d’abord économiques, mais aussi pour des raisons climatiques.
Néanmoins, il est intéressant de souligner, là aussi, le travail des sociétés, la complexité des choses, la puissance de la nuance et la dialectique constante des interférences entre les cultures. Le mouvement n’est pas homogène et unidirectionnel. Il ne s’agit pas seulement de croire à une uniformisation du monde sous la pression de la mondialisation marchande : elle existe mais rencontre aussi l’anthropologie des peuples, la puissance du fait historique, la permanence de réflexes culturels et sociaux…

Serge Guérin

dimanche 14 juin 2009

L’habitat social, le 6ème risque

L’habitat participe du socle essentiel des droits humains. Au même titre que la Sécurité sociale organise, depuis le compromis de 1945, les conditions du droit de chacun, quel que soit son origine, ses revenus ou son état de santé, à pouvoir être soigné et être hospitalisé, il apparaît nécessaire d’instaurer progressivement les conditions pour que l’habitat devienne aussi un droit universel.
D’une certaine façon, l’habitat social, porté par le secteur du Hlm, joue comme un amortisseur social, le sixième risque (le cinquième étant celui de la question de la dépendance) pris en charge par la sécurité sociale ou plus largement le système de protection sociale. L’habitat peut largement participer d’une approche qui vise à sécuriser le parcours professionnel et de vie de chaque individu. La notion de flexicurité aide ainsi à interroger les conditions d’intervention de l’entreprise dans cette perspective. La tradition du 1% logement puise ses racines dans le patronat social du 19ème siècle.
Les entreprises ne pourront faire l’économie de l’aide à la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle. Impossible de laisser les individus seuls face à certaines difficultés d’organisation envers leurs enfants, mais aussi leurs parents ou grands-parents.
De la même façon, l’entreprise ne peut croire qu’elle n’est pas impactée par le fait que des salariés aient des difficultés à régler leurs soucis de santé, ou à trouver un logement à un prix abordable et pas trop éloigné du lieu de travail.

Serge Guérin

vendredi 1 mai 2009

Repenser la notion d’activité

Les mots ne sont jamais neutres. Ainsi ce la cassure actif/inactif. Ainsi on défini les femmes au foyer ou les retraités comme des inactifs. Pour les retraités, on parle des inactifs de plus de 60 ans…
Mais l’activité est-elle seulement définie par le rapport au travail, qu’il soit salarié ou non ? Chacun d’entre nous connaît des « actifs » fort peu actifs et des « inactifs » particulièrement actifs… Mieux, même, dans certains cas, certains actifs ferraient mieux d’être… plus inactifs.
Ainsi parmi les 13 millions de retraités, bon nombre d'entre eux participent de multiples façons à la vie sociale, à la bonne marche de la communauté, au développement de la Cité. Que serait d'ailleurs le monde associatif sans les millions de bénévoles actifs de plus de 60 ans, que deviendrait la vie communale sans les 30 % d’élus qui bien qu’officiellement inactifs passent la majeure partie de leur temps au service des autres ?
Et que dire des solidarités de proximité ? Combien de familles tiennent le coup grâce aux coups de mains multiples de grands-parents : garde des enfants, accueil à la maison, bricolage et aides diverses, aide monétaire, aide aux devoirs… La liste est sans fin.
De la même façon, il est impossible de faire une liste exhaustive des aides apportés par les « inactifs de plus de 60 ans » à leurs voisins ou à leurs amis dans la vie quotidienne comme dans le partage d’expérience.
Les mots ne sont jamais neutres et traduisent un jugement, des représentations d’une situation. Il serait donc temps, là aussi, de changer les images, d’aider à moderniser les regards et les références.
Il ne s’agit pas d’un sujet anecdotique. Ce qui est en jeu, c’est bien la compréhension par la sphère sociale de cette révolution liée à la rupture démographique : les formes d’activité continuent de se diversifier et la notion de retraite sera de moins en moins associé à celle de retrait de la vie économique et citoyenne.



Serge Guérin

dimanche 22 mars 2009

Un cheque républicain en réponse à la crise de la presse

Partant du constat que la crise de la presse s'explique en partie par le fait que les jeunes perdent le réflexe d’aller s’informer par la presse, de passer par un kiosque pour ouvrir une fenêtre sur le monde, avec Philippe Robinet, directeur de Oh ! Editions, nous avons proposé d’instituer un chéquier Républicain qui serait remis à tous ceux qui viennent d'avoir 18 ans.

Un citoyen majeur est un citoyen informé. Cette mesure forte sur l’idée qu’un nouveau lecteur de circonstance se transforme en acheteur de conviction à partir du moment où on lui permet de « rencontrer », de tester différents titres de presse.

Nous proposons qu’au moment de ses 18 ans, le jeune qui entre dans la plénitude de ses droits civiques, puisse se voir proposer un chéquier presse équivalent à 50 euros (une quinzaine de magazines, une quarantaine de quotidiens). Les cheques pouvant être échangés contre n’importe quel journal ou magazine distribués en kiosque. Avec son cheque, le jeune citoyen pourra essayer un titre puis un autre… Il pourra ainsi mesurer combien en France la presse est diverse, riche et multiple. Il verra aussi qu’un kiosque est un lieu d’échange, de discussion, de rencontre. Le kiosque est un concentré de vie avec ses contradictions, ses surprises et ses étonnements.

Il ne s’agit en aucune façon d’imposer un type de presse, d’opposer des journaux nobles à des magazines vulgaires mais bien au contraire de faire confiance à chacun, de laisser le libre-arbitre, le désir, la curiosité se manifester et créer une dynamique.

À défaut d’un engagement national, les Régions, les Départements ou les communes qui le souhaitent pourraient tester ce « chéquier-presse ». L’expérimentation sociale a montré son intérêt.

À la suite de notre appel publié le 24 décembre dans Le Monde, plusieurs villes se sont intéressées à l’idée. C’est à Othis, le 14 mars 2009, que le premier chéquier républicain a été remis aux jeunes ayant eu 18 ans dans l’année. Il y avait une symbolique forte à voir ces jeunes se saisir de leur première carte d’électeur en même temps que de ce chéquier presse.

La ville d’Asnières, plusieurs communes dans les Alpes-Maritime et en région Rhône-Alpes, ont d’ores et déjà prévu d’adopter notre formule. Comme quoi la presse a bien une influence puisque tout est partie d’une tribune…

La démocratie est un combat sans fin qui nécessite des citoyens aussi bien formés qu’informés. La presse, au sens du droit à l’information critique et pluraliste, comme la santé ou l’éducation, participe des droits humains essentiels. Si elle a un coût, elle n’a pas de prix et peut s’insérer dans une politique publique affirmant le droit pour tous à une protection sociale. Pouvoir s’informer pour pouvoir décider

Il n’y a pas de fatalité du déclin lorsque la volonté d’agir est là. La presse écrite n’est pas condamnée au Tribunal de l’histoire, mais elle est condamnée à innover, à prendre l’offensive, à récuser la morale de la défaite. C’est essentiel, il en est de notre liberté de la presse et donc de notre démocratie.

Serge Guérin

mercredi 11 février 2009

La révolution du service

La crise actuelle est plus qu’une crise cyclique. Elle remet en cause une large part des logiques d’accumulation qui président au développement du capitalisme. Elle signe, peut être, l’an 1 de l’ère du service
L’un des premiers à nous avoir alerté reste Jeremy Rifkin, (L’Âge de l’accès. La nouvelle culture du capitalisme, La Découverte). La notion de marché est progressivement remplacée par celle de réseaux, les biens n’ont d’intérêt que s’ils sont accompagnés de services… On n’achète plus, on utilise. La notion d’accès se substitue à celle de propriété.
Ainsi, ce n’est pas le logement qui importe mais l’accès qu’il permet à des services internes (confort, espace…) comme externes (magasins, écoles à proximité…). La voiture est de moins en moins un bien statutaire pour devenir un mode de transport permettant de répondre aux nécessité de la mobilité.
La peur de ne plus pouvoir faire face à l’endettement, la prise de conscience de l’impact écologique et de la faiblesse des durées de vie des produits, et la compréhension que l’accroissement de l’espérance de vie aura des conséquences croissantes en termes de besoins de services personnalisés, rend essentiel pour chaque individu l’abonnement ou l’adhésion à des plateformes de services. Notre statut social sera largement mesuré par le niveau et la qualité de l’accès à des services. L’exemple de l’habitat et du quartier montre bien le lien statut/services.
Pierre Cahuc et Michèle Debonneuil, dans un rapport remis en 2004 pour le Conseil d’analyse économique, ont cherché à alerter sur l’importance pour l’économie et l’emploi (mais aussi pour le bien être) du développement des services. L’enjeu se calcule en millions d’emplois. Des emplois producteurs de lien social, non délocalisables et concernant des profils peu comme très qualifiés et dont l’empreinte écologique reste réduite
Nous produisons la société autant qu’elle nous forge. Aujourd’hui elle est inquiète de son devenir, de sa pérennité. A travers son principe de responsabilité, Hans Jonas a montré, voici plus de 30 ans, que nos destins sont liés à notre environnement. La société des services ouvre, sans doute, la perspective d’un développement plus équitable sur le plan social et écologique.


Serge Guérin

lundi 19 janvier 2009

De la famille et de la solidarité

L’Insee vient de publier ses dernières estimations sur le dynamisme de la démographie française. Il en ressort que le taux de fécondité des femmes en 2008 s’est situé à 2,02, le record d’Europe. Deux autres éléments retiennent l’attention : les parents sont toujours plus âgés puisque l’âge moyen des mères à la naissance est de pratiquement 30 ans ; les naissances se réalisent de plus en plus hors mariage (52%).
L’une des conséquences majeures de la prise de pouvoir de l’individu sur sa destinée et de l’évolution des normes sociales tient à la disparition d’un modèle unique de famille au profit du pluralisme familial (Sociologie de la famille, La Découverte, coll. « Repères », 2007). Aujourd’hui, les formes concernent autant des démarches institutionnelles symbolisées par l’union matrimoniale de deux personnes de sexe opposé que le PACS (pacte civil de solidarité) dont le succès va croissant. Demain, il s’agira du mariage homosexuel. La famille ne s’identifie plus seulement à une démarche civile et institutionnelle, mais revient souvent à des choix individualisés et évolutifs, largement liés à l’enfant. Les structurations informelles de la famille vont de la vie de couple traditionnelle mais non symbolisé par le mariage à des formes plus souples d’unions, voire des modes de cohabitation polymorphe et évolutive. Aujourd’hui, 40 % des enfants vivent dans des familles monoparentales ou recomposées.
Pour autant, cet « éclatement » de la forme familiale ne conduit pas à la disparition des solidarités familiales. Au contraire ! Elles sont plus choisies qu’hier… Au temps jadis, on parlait de la « fille sacrifiée » : dans chaque famille, un enfant (généralement une fille) était désigné, le plus souvent de façon non dite, pour prendre en charge dans le futur les parents, voire les beaux-parents. Aujourd’hui, les formes de l’appui des proches ont aussi évolué. On doit à Claudine Attias-Donfut de magnifiques travaux sur l’importance du soutien au sein des familles (Les solidarités entre générations : vieillesse, familles, État, Nathan, 1995). L’aide familiale apparaît d’abord comme le fait des compagnes ou des filles, reste que sous l’influence de la mutation de la famille et d’une autonomisation croissante des femmes et de leur rôle social traditionnel, les choses évoluent. Les rôles au sein de la famille sont de plus en plus polyvalents et évolutifs, y compris lorsqu’il s’agit de mobiliser les ressources de la solidarité (Petite Ségolène, Les règles de l’entraide : sociologie d’une pratique sociale, Presses universitaires de Rennes, coll. « Le lien social », 2005).
Signalons d’ailleurs que les nouveaux seniors forment la première génération à devoir s’occuper de leurs parents et de leurs enfants . C’est ce que l’on peut nommer la génération pivot, la génération solidaire.
De ce point de vue, on peut suivre François de Singly lorsqu’il insiste sur la tonalité différente des relations intergénérationnelles et qu’il relève, une « centration sur les relations encore plus accentuées » (Sociologie de la famille contemporaine, Nathan, Coll. « 128-Sociologie », 1993). Il y a plus de liberté, d’autonomie, d’individualisme et pourtant les liens entre les générations sont plus forts, la proximité affective est plus grande.
On ne peut penser la société sans avoir à l’esprit ces faits. On ne peut penser la politique sociale sans avoir en tête ET ces mutations ET cette permanence de la solidarité.

Serge Guérin