vendredi 4 janvier 2008

Pour une politique active de la gestion des âges dans l’entreprise

Après plus de 30 ans de culture de la pré-retraite, on passe doucement d’une approche centrée sur la retraite et la gestion des seniors à une politique de l’emploi des seniors et de la gestion des âges. Quelques initiatives d’entreprises s’engagent progressivement dans cette nécessaire révolution culturelle qui doit remplacer la néfaste gestion par l’âge au profit de la prise en compte des âges.
Pourtant, bien que l’environnement institutionnel ait évolué et que des initiatives positives fleurissent ici et là, fondamentalement rien n’a vraiment changé dans le royaume de France : le taux d’activité des 55-64 ans est passé en France de 34 à 37 %.
La force des habitudes, le poids des stéréotypes, l’impact sur les salariés comme sur les employeurs de 30 ans de culture des pré-retraites, les réalités de l’emploi… se conjuguent pour ralentir le nécessaire mouvement de la dynamique intergénérationnelle.
Les représentations restent incroyablement négatives vis-à-vis de l’âge. D’autant plus que ceux qui devraient aiguiller l’intelligence sociale, préfèrent poursuivre le travail de sape et jouer sur les peurs et les incompréhensions entre générations.
Ces essayistes, bien installés dans leurs certitudes confortables et leurs représentations, à la recherche de succès de librairie faciles mettent en avant l’opposition entre les générations, font peser le poids de leur démission sur les épaules des plus âgés et renforcent encore les stéréotypes attachés au plus de 50 ans.
Ils ont tôt fait d’oublier les ravages d’une mise à la retraite sans préalable et sans ménagement, la difficulté de vivre sa prise d’âge dans une société qui ne jure que par le jeunisme (tout en se méfiant d’une partie de ces jeunes), les difficultés financières et sociales vécues par de nombreux seniors et personnes âgées... Ces auteurs qui se bercent de chiffres et de statistiques, ne savent pas que les réalités sont bien plus nuancées. Dans les entreprises, bien des jeunes regardent leurs aînés en pensant à leur père sans emploi et inversement bien des seniors ne peuvent oublier la situation difficile de leurs enfants lorsqu’ils coopèrent avec de jeunes collègues. Les uns et les autres démontrent ainsi que l’intergénération fonctionne mieux que l’on ne le dit.
N’embaucher que des jeunes, c’est une fois de plus, ne pas répondre à la diversité démographique du pays et de la clientèle et c’est prendre les mêmes risques de rupture de la chaîne générationnelle, en s’exposant aux mêmes déconvenues 30 ans plus tard. Rappelons aussi que la proportion des actifs ayant plus de 55 ans à dépassé les 10 %, contre moins de 7 %,il y a seulement dix ans. Avec la réduction des mesures d’âge et l’impact démographique, cette proportion devrait s’accroître fortement dans les années à venir.
Le retournement démographique a commencé et ses conséquences se font déjà sentir. Pour l’instant, on ne retient que les effets positifs de la baisse du chômage en dépit d’une croissance bien faible. La diminution de la croissance de la population active, permise par l’augmentation des départs en retraite et l’arrivée des classes creuses sur le marché du travail, permet d’afficher de meilleurs chiffres sur le front de l’emploi. En 2004 nous avions déjà écrit, dans « Manager les quinquas », que cette réduction de la hausse de la population active, puis sa baisse à l’horizon 2020, risque de contribuer à affaiblir la dynamique économique. L’emploi crée l’emploi en ce qu’il contribue à l’activité. Mettre sur le côté les salariés âgés ne peut que conduire à un appauvrissement général et à l’augmentation du chômage. L’étude de l’Insee
[1] sur les taux d’emploi selon les régions montre bien que là où le taux d’activité est faible, le chômage est fort. Une autre manière de mettre en exergue l’effet Malthusien de l’éviction des seniors (mais aussi des femmes ou des handicapés).
Par ailleurs la nouvelle donne démographique, va créer des situations divergentes et tendues. Dans certains secteurs (bâtiment, restauration, transport, services de santé) le besoin restera supérieur à la demande conduisant à des sur-coûts, des disparitions d’activités et à la diminution de la qualité du service rendu. Dans d’autres secteurs, c’est l’inverse qui va se produire avec un trop plein de demande par rapport à l’offre d’emploi… Ces divergences de situation se reproduiront de façon croissante entre les entreprises selon leur capacité, ou non, de pouvoir proposer des perspectives de carrière et des conditions d’emploi très favorables.

L’avenir s’écrira en fonction de notre capacité à créer les conditions d’une coopération entre les générations et entre les cultures qui soient équitable et efficace. L’enjeu c’est plus que jamais, le droit à la différence et à l’innovation.
Pour sortir d’une France en pré-retraite, ne faut-il pas cesser de regarder l’âge comme si la société s’était arrêté en 1950 ? Ne faut-il pas en finir avec l’âge comme référence majeure et la retraite comme borne ultime? Ne serait-il pas temps d’assouplir les cycles sociaux ? Laissons à chacun le droit de construire sa vie, de pouvoir arrêter de travailler dès 60 ans ou de continuer après 70 ans, s’il le souhaite….

Serge Guérin

[1] MARCHAND, O. Enquête annuelles de recensement 2004-2006, Insee Première N° 1117, 2007

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