Le mouvement de mai 68 marque sans doute la dernière révolte générationnelle de grande envergure. Au sens où cette « révolte juvénile », pour reprendre une formule d’Edgar Morin, a été menée au nom de la jeunesse et contre les générations précédentes. Il s’agissait de casser les rapports sociaux et le formalisme hérités d’un ordre ancien et vieillissant.
Les mouvements qui ont suivi ne comportaient pas cet élément classique d’opposition générationnelle. Les acteurs, après coup, en sont eux même conscients : « il s’agissait de « vivre la dernière grande expérience générationnelle qui apportait ce sentiment d’entrer dans l’histoire [1]», explique le réalisateur Jean-Henri Roger, ancien de Mai et auteur de « Code 68 ».
Depuis, la notion de génération a pris du flou, si l’on peut dire, les émeutes urbaines de 2005 et les mouvements étudiants anti CPE ont marqué une fracture au sein des jeunes. Les émeutes ont révélé une jeunesse en rupture avec l’histoire sociale et les normes traditionnelles[2]. Le mouvement anti CPE a traduit de façon symbolique la fracture interne au sein de cette classe d’âge : des jeunes issues de certains quartiers désocialisés sont venus affronter physiquement les étudiants dans les cortèges de manifestants.
L’épisode social de l’automne 2007 a montré une autre application de la déstructuration de la notion de génération : certains étudiants ont annoncé vouloir à rejoindre les manifestions contre la réforme des régimes spéciaux de retraite alors que, d’une certaine façon, leurs enjeux et leurs intérêts sont diamétralement opposés.
Pour autant, le fait générationnel s’il est construit sur une forte référence commune ne supprime pas les oppositions et les mémoires. Dans un article récent du Monde, George Mink[3] parle du « très trompeur trait d’union générationnel » et cite l’exemple d’un débat organisé en Pologne entre D Cohn-Bendit, le leader étudiant de l’époque et député européen Vert, et A Madelin, ex militant d’extrême-droite et devenu chef de file des libéraux en France, pour célébrer une forme d’humanisme commun. Or, Mink signale que le romantisme générationnel a juste tenu le temps de faire la photo. Les oppositions sur le passé comme le présent restent fortes.
Serge Guérin
[1] In Télérama, n° 2898, 27 juillet 2005.
[2] Marlière, Eric, Jeunes en cité. Diversité des trajectoires ou destin commun ?, Paris, L’Harmattan, 2005
[3] In Le Monde, 4 janvier 2008
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